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Problématique du développement

A quand le vrai essor du développement de la géothermie à l’échelle planétaire?

Constat

De source autorisée, le potentiel de production d’électricité d’origine géothermique EXPLOITABLE était évalué (année 2012) à quelque 190 000 MWel (au sens de la ressource conventionnelle à des températures supérieures à 180°C) qui, actualisée à l’année 2020 et à l’abondance des sources à moyenne enthalpie (>120°C) exploitables par cycles binaires (ORC) et cogénération chaleur-force (combined Heat and Power, CHP)  mises en valeur pourrait être porté à 250 000 MWel. Or, au seuil de l’année 2025, la capacité géoélectrique mondiale installée peinera à atteindre 20 000 Mwel. De fait, le taux de croissance 2020-2025 de la capacité géoélectrique mondiale installée plafonnerait à 19% contre près de 28% pour le quinquennat précédent (G.Huttrer, 2020) !

Le panorama pour les usages directs de la chaleur géothermale (par simple échange, complété le cas échéant par la mise en œuvre de pompes à chaleur, PAC) s’éclaircit, favorisé certes par l’abondance de la ressource emmagasinée dans les grands bassins sédimentaires continentaux, qui compensent sa dépendance structurelle à la proximité des lieux de consommation (la géochaleur à la différence de la géoélectricité ne se transporte pas au-delà de quelques kilomètres). Les usages, qui se répartissent en cinq catégories, respectivement sondes géothermiques/PAC, Balnéologie, chauffage de locaux/réseaux de chaleur urbains, aquaculture et chaleur de procédés industriels et agroindustriels, ont atteint une capacité mondiale installée de 180 000 MWth (dont 1/3 en Europe) en progression de 52% par rapport à 2015, une production géocalorifique annuelle proche de 285 000 GWhth et un taux d’utilisation moyen de 30% (J.Lund, A.Toth, 2020).

Un objectif de croissance, réaliste au sens du développement rapide des réseaux de chaleur et serres chauffées par géothermie, anticipée à 50% porterait la capacité installée de géochaleur à hauteur de 160 000 MWth en 2025 et 250 000 MWth à l’horizon 2030.



Diagnostic

Nonobstant plusieurs success stories à valeur d’exemplarité enregistrée ou en voie de l’être au premier rang desquelles :

-(i)Les quelque 45 doublets/triplets de chauffage urbain en service en 2021 (sur 64 forés en total depuis 1969 sur le site emblématique de Melun l’Almont toujours en service, un bon score en vérité), en région Ile-de-France (objectif calcaires du Dogger, Jurassique moyen) à la périphérie de la capitale et dans la proche et lointaine banlieue représentent une véritable prouesse minière, technique et environnementale alliée à un engagement exemplaire de la puissance publique et au soutien de la population, qui ont permis de surmonter les aléas des maladies infantiles inhérents à toute filière énergétique nouvelle. En effet, imaginez dans un milieu urbain à forte densité de population la présence, outre les chantiers de forage lourds de   type pétrolier, de puits artésiens à pressions de tête et débits proche de 10-12 bar et 250 à 450 m3/h, sans   qu’aucun incident majeur n’ait affecté leur exploitation grâce au dispositif d’intervention/astreinte anti-éruption   (assuré par le service puits GEOFLUID). D’ici l’année 2028, de vingt à vingt-cinq nouveaux réseaux de chaleur ciblés au   Dogger sont programmés au titre de la transition énergétique.


–  (ii)Le développement spectaculaire de la production géoélectrique, à dominante binaire dans le cycle organique de   Rankine (ORC), de la Turquie principalement sur sa façade Egéenne (graben de Menderes), passée de près de   100 MWel en 2010 à 1 550 MWel en 2020 (720 MWel en 2015) en une décennie. Un score qui démontre le   potentiel géoélectrique représenté par les sources à moyennes enthalpies (températures de 120 à 180°C) très   largement répandues et valorisables de par le monde et,(iii) l’engagement de la Ville de Münich, en Bavière, en faveur d’une agglomération totalement décarbonée en 2050,    à commencer par le chauffage urbain, qui sera assuré en totalité via les EnR à partir de 2040, principalement par   la Géothermie profonde (carbonates du Malm, Jurassique supérieur) alimenté par le raccordement de trois   centrales chaleur force (ORC) périphériques et le forage de doublets géothermiques intra muros dont cinq   forés et complétés à ce jour.

La géothermie peine à se développer au rythme attendu.

En effet, la Géothermie géoélectrique mais également géocalorifique souffre de symptômes endémiques, héritage de ses attributs de parent pauvre (ou pétrole du pauvre, c’est selon…) caractérisés (i) par un contenu énergétique d’un, voire plusieurs, ordre(s) de grandeur inférieur à celui des hydrocarbures ; À titre de comparaison le pouvoir calorifique supérieur (à la source) PCI d’un litre de fioul domestique vaut 11, d’un kg de gaz butane GPL 14, celui d’un kg de vapeur d’eau 0,7 et d’un kg d’eau pressurisé <0,2, et (ii) par une rentabilité économique dissuasive : ainsi dans des prospects pétroliers l’adoption de taux d’actualisation (discount rate) de 20% et de taux de retour sur investissements (Pay Back Time, PBT) de deux ans voire moins sont monnaie courante, à comparer aux 5% et 6-8 ans, nirvana rêvés par nombre d’opérateurs géothermiques.

La communauté géothermique souffre également de l’absence, conséquence de ce qui précède, d’une industrie et de services propres qui réponde à des besoins de développement et une logique de coûts spécifiques. De fait, le seul industriel géothermique mondial est représenté par le turbinier ORC ORMAT, épaulé par son second TURBODEN, filiale du conglomérat MITSUBISHI et de son département turbines à vapeur d’eau surchauffée à cycle flash. Elle est donc pour l’essentiel totalement dépendante des entreprises de forage/exploration/production, de manufacturiers pompes immergées, et de sociétés de services (forage dirigé, fluides/boues de forage, fournitures de tubages/complétions, cimentations, stimulations, mesures électriques puits/diagraphies différées…) du secteur pétrolier. Ces contraintes tendent lentement à s’inverser, conséquence (i) du ralentissement, pour l’heure plus conjoncturel que systémique, voire réglementé, de l’activité pétrolière, et (ii) le frémissement constaté dans le reprise des forages profonds à vocation de chauffage urbain et chauffage de serres, singulièrement en Europe.

Aux plans de l’exploration/production, la panoplie des opérateurs est on ne peut plus disparate. Chevron, seconde compagnie pétrolière américaine et sixième mondiale et longtemps premier opérateur géothermique mondial a cédé ses actifs californiens (champs des Geysers) et  est en passe de céder ses actifs (motivé par des réductions de coûts!) Philippins et Indonésiens d’une valeur proche de trois (3) milliards de dollars US.


Ainsi disparait de la scène un acteur majeur disposant de moyens techniques, logistiques et financiers ainsi que d’une expertise non moins majeurs. Un autre acteur potentiel, ENGIE, envisage de céder les actifs géoélectriques de sa filiale indonésienne, Supreme Energy, à Sumatra (90 MWel installés, 220 MWel prévus). Restent EDC (Energy Development Corporation) aux Philippines (second producteur géoélectrique mondial après les Etats-Unis), Pertamina premier opérateur (public) d’hydrocarbures et de géothermie en Indonésie (également premier détenteur mondial de réserves géothermiques prouvées) et ENEL principal électricien Italien, privatisé en 1999, et poids lourd de la production d’électricité et de gaz, et leader géoélectrique mondial à travers sa filiale ENEL GREEN POWER dédiée aux renouvelables, qui investit (prudemment) au Chili.

Force est de constater que ces opérateurs, disposant de capacité d’investissement élevées et d’un savoir faire reconnu, investissent peu au regard de leurs moyens techniques, financiers et de leur expertise. Et ce en dépit de mesures incitatives quant aux mécanismes de couverture du risque minier (Risk Sharing Mechanism, RSM de la Banque Mondiale (Afrique de l’Est et Turquie) et de la Banque Publique Allemande, KFW pour l’Afrique de l’Est et l’Amérique Latine). POURQUOI?

Aux considérations strictement économiques s’ajoutent des préoccupations sinon des craintes d’ordre géopolitiques sur la stabilité politique et territoriale des Etats, singulièrement en Asie du Sud Est, Afrique voire en Amérique Latine, qui agissent comme autant de freins virtuels sinon réels.

Pourtant la géothermie, si elle génère quelques craintes (vis-à-vis notamment du risque sismique induit), n’a pas provoqué, à notre connaissance, de révoltes ni de guerres. Peut-on en dire autant des intérêts pétroliers, gaziers et miniers au vu des conflits en cours en Birmanie/Myanmar, Nord Mozambique, Sud Soudan, ou en voie de l’être en Ouganda/Grands Lacs et à Bougainville (Papouasie Nouvelle Guinée) ?



En conclusion des développements récents de la production d’électricité géothermique :

PLUS DE CESSIONS, MOINS D’ACQUISITIONS D’ACTIFS

COMMENT STIMULER UNE REPRISE DYNAMIQUE DE L’EXPLOITATION GEOELECTRIQUE FACE AU TRIPLE DEFI

 (I) ENERGETIQUE, D’UN ACCROISSEMENT DE 40% DE LA DEMANDE MONDIALE D’ICI 2030 DONT UN

 DOUBLEMENT DE LA PRODUCTION GEOELECTRIQUE (source : AIE, 2020), (II) ENVIRONNEMENTAL, DE LIMITATION

 DES EMISSIONS DE CO2 ET DU RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE, ET, LAST BUT NOT LEAST,

(III) L’EPUISEMENT PREVISIBLE DES SOURCES DE COMBUSTIBLES FOSSILES QUI ASSURAIENT EN 2020 80%

DE LA DEMANDE ENERGETIQUE MONDIALE

Problématique de la chaleur

Les réseaux de chaleur subvenaient en 2020 à 3% de la consommation finale d’énergie au niveau mondial, répartie également, à hauteur de 5%, dans les secteurs industriels, résidentiels et tertiaires (AIE, 2020).

La production française en 2020 approchait 50 000 GWhth en augmentation de 750% par rapport à 1990, à porter pour une très large part au crédit du redéploiement du chauffage géothermique en région Ile-de-France à l’initiative de la puissance publique sous forme (i) d’aides financières à l’investissement, (ii) d’une couverture du risque minier via la création du Fonds mutualiste SAF Environnement Court Terme (risque d’exploration) et Long Terme (risque d’exploitation), en voie d’être dupliqué à l’échelle européenne (programme communautaire GEORISK) et, last but not least, (iii) d’un engagement résolu via l’ADEME dans la recherche et l’innovation dont notre entreprise a bénéficié et bénéficie encore, et sans lesquels ses innovations n’auraient pu voir le jour.

Disons le clairement, sans le soutien des pouvoirs publics et l’engagement initial des collectivités urbaines aucun développement de la filière du chauffage urbain géothermique n’eût été possible.

Ces succès ne sauraient occulter les insuffisances structurelles récurrentes du modèle d’exploitation/gestion actuel ni la nécessité de les corriger au sens d’une restructuration fonctionnelle.

En premier lieu la structure du marché est parcellisée/balkanisée en pratiquement autant d’opérateurs que de sites (les regroupements observés ces dernières années n’ont pas modifié sensiblement la donne).

En second lieu et contrairement au lien entrepreneurial et synergique entre production et distribution de chaleur il n’est pas fait de distinction entre le mineur/producteur sous-sol et l’exploitant du réseau de chaleur/distributeur de surface. De fait, le plus souvent ce dernier ou, à défaut, l’entité juridique (Syndicat Mixte) titulaire du titre minier, assure la gestion technique et managériale de la structure. Ce n’est pas leur faire de reproche que de constater qu’ils ne possèdent ni la culture minière et du risque induit, ni de la pratique réservoir indispensables à la gestion optimale de la ressource.



Également en matière d’évaluation d’un prospect géothermique il n’existe pas à ce jour d’organisme indépendant des maitres d’ouvrages, publics ou privés, en capacité de procéder à la certification de la ressource géothermale d’un permis d’exploration ou d’exploitation comparable à la procédure standardisée en vigueur dans l’industrie pétrolière internationale. Cela même si les recommandations de l’IGA (Genève, 2016) font état de la possibilité d’établir pour la ressource géothermale un rapport intitulé Competent Person Report (acronyme CPR) rédigé par un expert indépendant reconnu par la profession. Ce type de rapport est utilisé de manière systématique dans le but d’éviter d’éventuels conflits d’intérêt pouvant émerger lors de négociation de transactions sur les permis d’exploration/exploitation des ressources du sous-sol.

Pour poursuivre la réflexion on pourrait imaginer une production/gestion de la ressource géothermale partagée entre plusieurs opérateurs/mineurs aux compétences et moyens reconnus, qui prennent à leur charge le forage, la complétion et la maintenance des infrastructures (puits, équipements de pompage/suivi, boucle géothermale de surface/primaire de l’échangeur de chaleur), et les risques associés à la garantie de fourniture (température, débits et pics de production, volumes annuels) et à la pérennisation de la ressource sur la durée de la concession. Le mineur livrerait ainsi la ressource aux conditions contractuelles convenues, à l’opérateur de surface exploitant du réseau de chaleur, libérant ce dernier des aléas liés à l’exploitation de la ressource.


Cette restructuration de la production/distribution reprendrait à quelques nuances près la division du travail existant dans le domaine des hydrocarbures entre le producteur, opérateur puits/champ, le transporteur/gestionnaire de l’oléoduc/gazoduc et le distributeur terminal.

Enfin, une caractéristique, pour tout dire détestable, est apparue récemment sur le théâtre de la géothermie francilienne sous la forme d’une judiciarisation de l’activité de la profession avec pour conséquence que tout incident d’exploitation ou problème relevant le plus souvent de la physico-chimie des réservoirs, procède d’une mise en référé/expertise avec assignation de la totalité des acteurs et désignation d’un expert missionné pour rechercher le (les) coupable(s) du dommage/sinistre et qui va payer, et non pas pour résoudre le processus originel initiateur du dommage.

Une autre conséquence dommageable de la judiciarisation géothermique : la difficulté, voire l’impossibilité, pour les sociétés d’ingénierie de contracter (sinon à des coûts élevés auprès de compagnies spécialisées, souvent étrangères) une police RC professionnelle auprès des assureurs. Nous parlons ici d’expérience.

Divers

La sismicité induite par l’exploitation géothermique est au centre des préoccupations de la Communauté géothermique à la lumière des séismes, de magnitude variant de 2 à 3, exceptionnellement 5 sur l’échelle de Richter, provoqués à Bâle et Saint Gall (Suisse), Landau (Palatinat), Pohang (Corée du Sud) et Vendenheim (Alsace). Les séismes sont intervenus suite à des injections à haute pression dans des zones faillées par ailleurs sismiquement actives. Des protocoles de surveillance microsismiques associés à des modélisations géomécaniques permettent de définir pour chaque projet les seuils d’alerte de pressions/débits d’injection en relation avec la microsismicité induite et de sécuriser ainsi une politique de prévention efficace autant que rassurante pour les populations riveraines.

L’exploitation géothermique représente également une source de sous-produits minéraux et gazeux, à l’image des processus hydrothermaux de genèse des dépôts métallifères, en premier lieu le Lithium (principalement sur les gisements de Salton Sea/Brawley dans l’Imperial Valley de Californie du sud mais également en Alsace) et l’Hélium qui sont à la vieille de développement prometteurs.